« Ça me donne envie de grogner. » « On dirait qu’il fait exprès pour me provoquer. » « Dans ces moments-là, il ne veut rien entendre. » « Tout l’exaspère. » Malgré leurs excès, l’irritation et la colère sont des instincts de défense essentiels. La colère sert à répondre à des provocations ou à des agressions, ou encore à signaler nos sensibilités ou nos limites de tolérance. Parfois, elle permet même d’assurer notre survie.
Les circuits d’agressivité défensive du cerveau coordonnent les nombreuses composantes des réactions d’irritation et de colère. Notre visage signale notre mécontentement (sourcils qui froncent, regard qui devient menaçant). Notre corps s’active et se raidit (mâchoire et épaules crispées). Même notre ton de voix et nos réactions signalent qu’une limite de tolérance est en voie d’être franchie et qu’on s’apprête à réagir (ex.: protester, grogner, crier, frapper).
L’irritation et la colère apparaissent tôt dans l’enfance en réponse à certains déclencheurs comme les frustrations (ex.: se faire enlever un jouet, se faire refuser une friandise convoitée) ou les agressions (ex.: se faire pousser). Par apprentissage, ces réactions préprogrammées peuvent se généraliser à une foule de « stresseurs » qui ne sont pas des provocations (ex.: se cogner le pied, un ordinateur qui bloque). Selon nos expériences et nos fragilités, une foule de stimulations peuvent être perçues comme des provocations et déclencher une irritation.
Les atteintes à notre orgueil (ex.: se faire dire qu’on a tort) sont des irritants très efficaces. Le seuil de ces déclencheurs peut varier. Quand notre assurance (confiance en soi) baisse (anxiété, dépression …), les provocations sociales les plus banales peuvent déclencher de l’irritation (ex.: les blagues provocantes deviennent des insultes). Les hommes sont plus sujets à ce genre d’irritation à cause de leur système de fierté souvent plus sensible.
Les attentes déçues (ex.: un coéquipier qui ne fait pas sa part) ou les désirs frustrés (ex.: la circulation qui ralentit) sont aussi de grandes sources d’irritation. L’impatience est souvent une irritation à propos du déroulement des évènements. Pour les personnes impulsives ou stressées, les délais ou les ralentissements peuvent devenir intolérables. Leurs attentes ou leur sentiment d’urgence sont fréquemment contredits par la lenteur des évènements ou des gens qui les entourent et les ralentissements imposés peuvent facilement être perçus comme une provocation.
L’irritation a besoin d’une cible, une situation ou une personne responsable et à laquelle il faut réagir. Le véritable déclencheur de l’irritation est souvent inconscient ou mineur (fatigue chez l’enfant, déceptions, revers ou obstacles chez l’adulte), mais une fois activée, l’irritation cherche souvent des boucs émissaires (ex.: le prochain qui me contredit, le petit frère, le parent, la conjointe). Parfois, on s’accroche à un sujet de plainte ou de discorde ou on vise un peu au hasard parce qu’identifier une source d’irritation et y réagir réduit notre stress et procure une satisfaction de défoulement. À long terme, la recherche d’irritants peut nous rendre plus exigeants et plus aigris, comme si la vie avait une dette envers nous.
Comme la peur, la colère est alimentée par une boucle qui la maintient ou l’amplifie pendant un certain temps. Les premières réactions procurent une satisfaction, mais elles stimulent aussi les souvenirs de nos irritants passés et l’imagination qui nous suggère de nouvelles raisons d’être irrité. Pour certaines personnes, victimes d’une commotion cérébrale ou souffrant d’un trouble psychologique, la boucle d’irritation peut manquer de freins. Les périodes d’irritabilité (la mauvaise humeur) peuvent être longues et fréquentes. Elles peuvent ruminer pendant plusieurs jours sur un affront ou une frustration. Elles peuvent avoir des envies irrésistibles de se plaindre de tout, de se révolter (tout va mal et les coupables sont nombreux) ou de dire des choses blessantes.
Même si elle provoque plus souvent la défense et le rejet que l’empathie, l’irritabilité est souvent un appel à l’aide, un signe de détresse ou de dépression. C’est une réponse maladroite à des « stresseurs » (ex.: conflits au bureau ventilés à la maison, inquiétudes d’enfants exprimées par une mauvaise humeur). La détresse entraine une fragilité qui peut faire que de nombreux « stresseurs » sont perçus comme des provocations. Les enfants qui ont des comportements oppositionnels (argumenter, défier…) sont souvent irritables, susceptibles aux provocations ou aux atteintes à leur liberté. Les enfants fréquemment irritables sont plus susceptibles de développer des troubles comme l’anxiété et la dépression en vieillissant.
L’irritation réduit l’empathie, elle nous rend hypersensible à la provocation et intolérant au stress. C’est ce qui fait que lors d’une dispute, l’irritation conduit souvent à une spirale d’agressivité (on renchérit pour ne pas céder de terrain). En plus, se sentir attaqué focalise notre attention de façon exagérée sur la réponse à donner pour contrer l’attaque au détriment de notre ouverture d’esprit. Notre conviction d’avoir raison augmente et nous avons tendance à devenir obnubilés par le conflit, ce qui retarde le moment où on remarque qu’il pourrait être dans notre intérêt de redescendre de notre état et de tenter de désamorcer le conflit.
La colère est souvent une réponse à un affront, c’est donc une émotion sociale et morale. Elle est souvent suivie de sentiments comme la honte, les remords ou la culpabilité qui sont les bases de nos codes moraux et de nos notions de justice. La colère est mal vue socialement ce qui favorise son inhibition et son expression plus discrète (pointes verbales, vengeance anonyme…).
L’irritation a des rôles sociaux importants. Elle vise souvent à changer notre environnement pour qu’il devienne moins menaçant ou qu’il se rapproche de nos attentes. Les remontrances et les reproches visent à signaler notre insatisfaction. L’indignation déclenchée par une perception d’injustice ou un choc de valeurs est une irritation en lien avec des attentes morales. La rancune et le ressentiment sont des irritations persistantes qui peuvent être associées au manque de pouvoir de changer notre environnement.
Nos instincts de défense sont contrôlés par des circuits de modulation. Ces circuits se développent avec l’âge et avec nos expériences de socialisation (parents, éducateurs, interactions sociales). Les circuits de modulation sont cependant faciles à perturber. Plusieurs personnes se réveillent irritables (état confusionnel) surtout après une sieste à cause d’un éveil incomplet des circuits qui modulent les réactions de défense. L’inhibition de la colère peut aussi être réduite par l’alcool, ou par le contexte (ex.: environnements hostiles, foule en colère dans une émeute, milieux violents, sentiment d’impunité). L’irritation est aussi facilitée par les « stresseurs » et par les stimulants (ex.: caféine, cocaïne, amphétamines). Elle est réduite par les médicaments qui diminuent la dopamine et l’adrénaline disponibles dans le cerveau.
La colère peut rendre aveugle. Elle modifie notre état de conscience et peut nous rendre insensibles à plusieurs de nos freins sociaux et moraux habituels. On en dit trop, on va trop loin et on peut le regretter après. Dans leurs crises d’irritation, certains blâment les autres de façon exagérée parfois avec une méfiance paranoïaque et souvent ils ne se rendent pas bien compte de leur exagération.
La colère peut prendre le contrôle du cerveau. Certains enfants (ex.: syndrome de Gilles de la Tourette) font des crises de rage qui sont hors de proportion par rapport aux déclencheurs et qui peuvent difficilement être interrompues.
La colère peut aussi produire une amnésie de l’incident. Les gens qui tuent leurs proches sont souvent dans un état dissocié de la réalité et de leur propre jugement et peuvent soit ne rien enregistrer de l’évènement ou en bloquer le souvenir.
Les personnes qui ont des dysfonctionnements dans les circuits de la colère peuvent montrer des réactions violentes. Une personne qui fait des crises d’épilepsie qui touchent ces circuits peut grogner et frapper son entourage durant ses crises. Une tumeur dans ces circuits peut même parfois entrainer une escalade d’agressivité conduisant à une folie meurtrière (ex: le cas de Charles Whitman).
Certaines personnes montrent au contraire une diminution importante de leurs réactions de défense provoquée par une dépression, une maladie neurodégénérative ou une autre condition. Ces personnes sont plus souvent victimes de fraudes ou encore d’abus physiques ou psychologiques.
Prédire la violence ou évaluer la dangerosité d’une personne est très difficile. Parfois, le comportement passé, l’escalade de la colère ou encore le contenu des obsessions ou des délires (ex.: dans la schizophrénie) permet d’anticiper les actes violents, mais le risque de violence généralement d’un grand nombre de facteurs.
À l’aide de techniques de neuro-imagerie, on peut parfois trouver des anomalies de certains circuits cérébraux chez les personnes portées vers la violence. Ces facteurs neurologiques peuvent interagir avec les facteurs psychosociaux qui favorisent la violence (ex.: exposition précoce à la violence familiale ou communautaire). Une explication neurologique ne réduit pas nécessairement notre responsabilité morale relativement à l’agression. Elle ne réduit pas toutes les violences à des maladies. Cependant, mieux comprendre son origine rend l’agressivité plus humaine (ce n’est pas une possession par des démons) et permet d’envisager des interventions qui vont au-delà de la répression, dont une meilleure gestion des irritants et des personnes irritables ainsi qu’une meilleure prévention de la violence.
(tirer du site: https://www.huffingtonpost.fr/francois-richer)